Au moment où ces lignes sont écrites, nous sommes à l’aube de la grève illimitée des enseignant.e.s. Certaines informations citées ci-dessous peuvent ne pas être à jour.
Certain.e.s élèves peuvent voir la grève comme des journées supplémentaires de vacances. Or, cet arrêt de travail a beaucoup d’implications pour les enseignant.e.s qui ont décidé de se lancer dans une grève générale illimitée (GGI) à partir du 23 novembre 2023. Pour mieux comprendre les revendications et les demandes des grévistes, j’ai fait une entrevue avec Mme Catherine Beauvais St-Pierre, présidente de l’Alliance des professeures et professeurs de Montréal.
Ordre de la Plume : En quoi consiste votre travail?
Catherine Beauvais St-Pierre : Je suis la présidente du syndicat, élue par les autres profs. On est plusieurs élu.e.s. Il y a sept vice-président.e.s et je suis la présidente. Mon travail c’est de chapeauter tout ce qui se passe à l’Alliance. Je suis la personne élue avec un regard global pour s’assurer que tout s’arrime et qu’on est cohérent. Je suis aussi la porte-parole officielle de l’Alliance.
O.P. : C’est quoi une grève? Comment s’organise-t-elle?
C.B.S.P. : Nous, ce qu'on s'apprête à faire, c'est une grève légale. La grève, c'est encadré par le Code du travail. Pour qu'une grève soit légale, il faut suivre certains cadres. Une grève, c'est d'arrêter de faire son travail. (...) D'une part, il faut être parti en médiation. Il faut que la négociation avec le gouvernement commence avant de partir en grève. (...) Après, un rapport est envoyé. Il y a un délai et quand le ministre du Travail a reçu le rapport, il y a un autre délai et on peut faire la grève. De plus, il faut avoir fait un vote secret avec tous les membres du syndicat tels que toutes et tous les enseignant.e.s. S'il y a une majorité qui vote en faveur, il y a un mandat de grève. Enfin, il faut envoyer un avis de grève au ministre du Travail sept jours francs ouvrables, fins de semaine, jours fériés, jour d'envoi de l'avis et jour de grève ne comptent pas avant la grève. Dans une grève légale, tout le monde ne travaille pas et personne n'est payé même si les profs décident de travailler quand même.
O.P. : Quelles sont les demandes de votre organisation au gouvernement?
C.B.S.P : Une de celles-ci qui prend la plus grande place dans les négociations, c’est au niveau de la lourdeur de la tâche et de la composition de la classe : le travail au quotidien des profs. C’est ce qui m’a amenée à m’impliquer, c’est de voir qu’il y avait beaucoup d’élèves avec des besoins particuliers dans les groupes, mais que ces élèves ne venaient pas avec du soutien supplémentaire pour les enseignant.e.s. […] On a des demandes sur l’autonomie professionnelle et la valorisation. […] Avant, la société avait un grand respect pour les enseignant.e.s. Il y en a encore beaucoup, mais il y a de la reconnaissance qui manque de la société, et surtout, du gouvernement. On veut que le gouvernement fasse confiance aux profs. Par exemple, on veut faire certaines de nos journées pédagogiques en télétravail, c’est pratique et cela montrerait que le gouvernement a confiance envers ses profs. Au niveau de la valorisation, il y a aussi l’augmentation salariale et les meilleures conditions de travail. On veut une augmentation qui équivaut à l’inflation, pour éviter que le pouvoir d’achat des enseignants soit réduit.
O.P. : Que faites-vous durant la grève?
C.B.S.P. : Moi, je ne négocie pas, on a des négociateur.rice.s à la FAE, qui est la Fédération autonome des enseignant.e.s. Cependant, j'ai un horaire pour aller visiter des écoles et des profs. Le principe de la grève, c'est qu'on fait du piquetage. On se met devant les portes et on empêche les gens d’entrer dans l'école, sans violence, évidemment! C'est pour cela que les écoles vont être fermées. Je vais me promener dans les écoles tous les jours. Mon horaire sera envoyé dans des médias (journaux, radios, etc.) pour qu'ils puissent venir sur le terrain afin de me donner une entrevue. Je serai aussi là pour régler les problèmes s'il y en a. Enfin, je dois me rendre à des stations de télévision ou de radio quand elles m'appellent pour me donner une entrevue en studio.
O.P. : Pourquoi les profs de la FAE font-ils une grève générale illimitée?
C.B.S.P. : Pour les enseignant.e.s de Montréal, enseigner à Montréal c'est tous les défis du milieu de l'éducation qui sont regroupés. On a des milieux très défavorisés, on a certains milieux avec beaucoup d'élèves en francisation, qui viennent d'arriver au Québec, beaucoup de classes et d'écoles spécialisées, avec des élèves en difficulté, toutes sortes d'enjeux différents. On a nos particularités et les besoins sont grands et c'est à Montréal qu'actuellement la pénurie est grandissante, parce qu'on a des profs qui enseignent à Montréal, puis qui décident d'aller enseigner ailleurs au Québec, étant donné que les besoins sont moins grands ailleurs. C'est probablement cela qui explique pourquoi on a décidé de se battre plus intensément dans cette négociation et d'aller se voter un mandat historique de grève générale illimitée.
Bref, la décision des enseignant.e.s de Montréal de déclencher une grève générale illimitée relève d'un désir d'améliorer l'école publique et de changer l'éducation à trois vitesses pour une éducation égale et épanouissante pour tous. Or, les opinions d'une part et d'autre de la table de négociation divergent trop pour atteindre un compromis. À vrai dire, qui va succomber en premier, le gouvernement ou les enseignants? Seul l’avenir nous le dira…
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